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Quand tout est parti en cacahuètes... dans ma tête

Marianne Bélanger-Morin, deuxième secondaire


Note: Ce texte a été rédigé dans le cadre du concours « Jeunes auteurs, à vos crayons! » organisé par le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le thème du concours était « Quand tout est parti en cacahuètes.»


Tout commença dans une école secondaire comme vous l’imaginez, basique, sans aucune différence de la vôtre. Une école où le sexisme et le machisme font partie de la culture et où l’intimidation n’est pas tant réglementée que ça. Il se disent qu’en faisant un discours sur le sujet une fois par année, tout ça va disparaître, hm bande de cons. Une école où les « populaires » règnent sur le monde et où les timides se font marcher dessus. Une école où, quand on demande de l’aide, on nous diagnostique une maladie mentale, parfois même une qui n’a aucun sens, je le sais, je l’ai vécu. 


Certes, je suis né dans l’amour avec ma grande sœur, mais ça n’a pas duré. Un jour, mon père trompa ma mère, elle le quitta. Son cœur, étant brisé, aima le premier venu. Il lui promit de réparer les miettes que son ancien prétendant avait faites de son cœur. Il lui promit de nous aimer comme ses propres enfants. Il agissait comme le parfait petit mari. Ma mère lui fit confiance comme s’ils se connaissaient depuis toujours. Un jour, les ‘’je t’aime’’ innocents de ma sœur se transformaient en jurons qu’il lui retournait en plein visage, marqué par des bleus. Les coups, les blessures, les abus, envers tous les gens qu’il disait aimer, étaient entrés dans notre routine. Comme un bon café tous les matins, mais pour nous, c’était devenu des coups de poing. La mort des seules personnes qui me restaient n’a pu attendre. Ma mère s’est éteinte sous les coups de celui qui était censé nous sauver. Ma sœur, elle, finit par abandonner le combat, le combat contre le monstre que je nommais autrefois papa. Tous les jours, des galaxies continuaient à apparaître sur mon corps. 


Bon faudrait que j’écoute la prof si je veux comprendre. 


-Oh le pauvre petit chou, il va me faire pleurer. 

Les gens, c’est fou comment parfois ils se permettent de juger sans même savoir qui ils jugent. 

-Le petit bébé va aller se plaindre à sa maman, ah non c’est vrai il n’en a plus. 

-ARRÊTEZ ! 

-Hugo, à qui tu parles ? Il n’y a personne autour de toi. Je peux reprendre mon cours ?, dit ma prof de français. 

-Oui, mais est-ce que je peux aller dans le couloir ?, lui répondis-je. 


Un signe de tête me fit lever et engendrer un pas rapide vers le ridicule. La porte semblait si loin. Les murmures des bâtards que j’étais censé appeler « camarades » devenaient de plus en plus forts et assourdissants. Ils devenaient tellement envahissants qu’ils semblaient être dans ma tête… dans ma tête.


Avant de sortir, je perdis mon regard dans ceux qui me regardaient et aucune de leur bouche ne bougeait, mais les chuchotements continuaient. Tous attendaient sagement que je tourne cette poignée. Cet instant avait duré plus d’une heure. Mais en réalité, elle n’avait même pas duré une minute. Les murs du couloir semblaient se rapprocher de plus en plus, ils semblaient sans fond. Un brouillard sombre et dense avançait vers moi. 


- Psst, je suis là. - Qui, qui me parle ? -C’est moi. 

Personne. 

Personne n’était là. Juste moi, moi et moi seul. 

- Mais non Hugo, je suis là moi aussi, en fait nous sommes là. - Hein, personne, personne, personne n’est là. -Oh je peux comprendre ton inquiétude. Tu ne peux nous voir, juste nous entendre, nous sommes dans ta tête mon petit Hugo, seul toi peux nous entendre, petit chanceux, depuis tes petites mésaventures avec ton père… - Ce n’est pas mon père et je ne le considère pas comme membre de ma famille! -Bon, nomme-le comme tu veux, mais à cause de lui ou grâce à lui plutôt, nous sommes apparus pour te protéger… à ce qu’on dit. 


Maintenant, je devais vivre avec ces trucs qui me hantaient, des voix qui me disaient des choses tellement que les ignobles mots de mon « con-père » me manquaient. 

Cette journée-là, j’avais hâte de rentrer chez ma mère d’accueil. Elle ne le savait pas, mais je l’aimais quand même. C’était la seule qui me comprenait vraiment, elle avait déjà vécu une affreuse histoire similaire à la mienne, ce qui me donnait encore plus envie de lui faire confiance. Grâce à ces personnes cruelles, nous nous étions rencontrés, faut voir les côtés positifs parfois. Son nom, Aasha, signifiait espoir en hindi. Sa mère l’avait nommée comme ça à sa naissance, car elle croyait pouvoir sortir de ce trou noir grâce à elle, mais même la lumière n’est pas capable d’en sortir... 

 

Le réveil avait été dur, pourtant j’avais bien dormi, je crois. Le départ vers l’enfer quotidien approchait à grands pas, c’est ça, se lever cinq minutes avant de partir. Aasha me disait bonne journée normalement, mais pas aujourd’hui. Elle devait être de garde à l’hôpital ce matin-là.  Ça doit être ça, pas besoin de s’inquiéter. 


-Elle est peut-être morte ? 

-Non, non, non, elle n’est pas… 

-MORTE! 

-Morte. Non… Quand je vais revenir de l’école, elle va être là, elle m’attendra comme tous les soirs, oui, comme tous les soirs. On y va. 

Les flocons de neige tombaient sur mon visage figé par la peur, par la peur d’avoir perdu la seule personne qui m’aidait vraiment. Impossible, je m’imaginais toujours le pire truc, elle ne pouvait pas être mor… Non, elle ne pouvait pas l’être, j’en étais convaincu. Les cristaux de neige continuaient à couvrir mes cheveux ondulés, presque comme si le temps avait passé cent fois plus vite. Je sentais que quelque chose n’allait pas, mes jambes commençaient à devenir de plus en plus faibles, ma force me quittait. Le sol à toucher mes mains. Le sol se rapprochait de mon visage. Le sol touchait maintenant ma tête. Le soleil disparaissait. Et puis le néant. Tout était noir. 


-Hugo, c’est ça, Hugo, ça va ?, dit une voix féminine.  

Le néant s’évaporait comme par magie, perdu dans un océan, elle était devenue le navire qui me ramena sur terre. 

-Hugo ? 

Ravalant ma salive, je ne pus répondre que par un hochement de tête. 

-Je m’appelle Emma. 

Je le savais, c’est la plus belle fille de l’école, tout le monde connaissait son nom. 

-Je vais à ton école, si tu veux, je t’accompagne jusque-là ? On est dans la même classe. Allez, on y va. 


Le reste de cette promenade passa de plus en plus vite. Je l’écoutais parler, c’était magique. Les mots sortaient de sa bouche comme une mélodie dans mes oreilles, je ne pouvais m’empêcher de la regarder. 


Arriver à l’école à ses côtés était comme si plus rien ne pouvait m’arriver. Elle était devenue mon ange gardien et moi, son élu, mais … toutes les bonnes choses ont une fin. Elle s’éloigna de plus en plus, le vent se prenait dans ses longs cheveux ondulés. Elle rejoignit son bel étalon et me laissa finir la route. 


De retour dans la même classe que celle où tout avait commencé, la classe de français. La prof commença, quand brusquement, la porte s’ouvrit, laissant entrevoir deux policiers. Tout en se dirigeant vers moi, un des deux lâcha : 


-Hugo Fortin, vous êtes accusé d’avoir assassiné votre mère d’accueil, Aasha. Vous avez le droit de garder le silence. Vous avez le droit d’avoir un avocat et si vous n’avez pas les moyens de vous en payer un, il vous en sera nommé un. Si vous renoncez à ces droits, tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous devant un tribunal. 


Ils m’embarquèrent. Sans rien dire, je regardais les autres chuchoter et, cette fois, ils le faisaient vraiment. 


Le poste de police n’était pas si loin, mais pourtant la route fut longue. 


Arrivé à cet endroit que je n’avais jamais visité, on m’enferma dans une pièce, attaché à la table avec des bracelets métalliques comme si j’étais dangereux. Une femme arriva avec une petite tablette entre les mains et un regard perturbé, comme si elle était sûre que c’était moi. Elle tourna sa tablette. Lança une vidéo. Les larmes coulèrent sur mes joues. C’était moi. J’avais tué Aasha. Brutalement, comme si c’était l’homme qui avait tué ma famille. La colère était en moi. Je la ressentais même derrière l’écran. Comment est-ce possible ? Le sang jaillissait et je continuais de replanter ce couteau encore et encore. Je ne m’arrêtais plus. Puis j’avais laissé tomber l’arme. J’avais regardé son cadavre et puis j’étais parti avec le sourire. 


Regardant la policière droit dans les yeux, je lui dis : 


-Aidez-moi. 

Je ne pouvais plus contrôler ces larmes. Goutte par goutte, le sol s’inondait. 


Elle m’emporta dans une autre pièce, celle-ci était beaucoup plus éloignée du reste des salles. Elle était sombre, triste et angoissante. La policière posa un casque sur ma tête, alluma les haut-parleurs, puis les voix devinrent plus fortes, vraiment plus fortes. 


-Flkanfkzdnvoboz Mais c’était pour ton bien. Aljzkknclèzbvl Imagine si elle t’avait jnfèAbvèjbvoab traité de la même façon que kvjbnanSÉcvlbèlvjè ton beau-père. Et xmpwsxowbdc fevybcqiuhweubcq whxbqwicydbcqijncqieuch. 


Les voix devenaient de plus en plus incompréhensibles. La dame me regardait et prenait des notes. Elle s’approcha et me dit : 


-Il va falloir que tu te concentres, ok. Ce casque sert à me faire entendre tes voix, tu comprends ? Comme ca, moi aussi je peux les entendre. Maintenant, il faut que tu te concentres pour qu’on puisse comprendre ce qu’elles disent, d’accord ? 


Le tremblement de mes yeux fut sa seule réponse. Je fermai mes yeux puis ces démons commencèrent à expliquer les atrocités que je, non, qu’ils avaient commises en détail sans rien oublier. C’était affreux, on pouvait imaginer toute la scène comme si on était en train de la vivre. Tout ce qu’ils racontaient semblait familier. Plus l’histoire avançait, plus je me souvenais d’autres détails qu’ils n’avaient pas encore dits. C’était atroce. Je me souvenais de ce qui s’était passé. 


C’était donc bien moi. Même si les images parlaient d’elles-mêmes, il me restait un petit espoir qu’il ne s’agissait pas de moi. Mais plus maintenant, j’en étais sûr, il n’y avait plus de doute. Même si personne n’en avait jamais eu. Les voix se turent. L’histoire prit fin. L’agent cessa d’écrire. Puis, les premiers mots que je pus dire : 


-Maintenant, on fait quoi ? 

-Le système de justice canadien prévoit que les personnes ayant un trouble mental devraient être traitées pour leur trouble plutôt que d’être punies. Alors, quand tu auras ton procès, tu vas être déclaré non criminellement responsable de ton crime en raison de tes troubles mentaux.  Ensuite, nous allons regarder quel serait le meilleur hôpital psychiatrique pour toi et tu vas y aller jusqu’à ce que ton psychiatre nous dise que tu es capable de reprendre ta vie en société. À ce moment, nous allons te surveiller dans la communauté jusqu’à ce qu’on t’accorde le droit de reprendre une vie normale, mais au premier signe de rechute, nous recommencerons ce processus. Tu seras accompagné tout au long de ce parcours par un psychiatre, mais pour que ça fonctionne, il faudra que tu veuilles guérir. Est-ce le cas ? 

-Oui, je veux. 

-Parfait, je suis fière de toi. 


Pour la première fois, moi aussi, j’étais fière de moi. 


Références de sites qui m’ont aidée : 

 Pour les informations sur la justice : educaloi.qc.ca 

Correction : usito.usherbrooke.ca 

Dictionnaire des synonymes : www.synonymo.fr 

 
 
 

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